Cancer et travail: "Mon poste n'existait plus à mon retour", un article de L'Express
L'association Cancer@work organise des "job datings" pour des salariés en rémission. Reportage.
Le cancer bouleverse tout. Projets, croyances, confiance, vision de son corps... Une fois sorti vainqueur du crabe au prix d'un long combat, le temps de la rémission recèle d'autres batailles non moins énergivores. Parmi lesquelles le retour au travail ou la recherche d'un nouvel emploi. Selon une étude de l'Inserm*, au moment du diagnostic, huit personnes sur dix avaient un boulot, contre six sur dix, deux ans plus tard. "La perte d'emploi touche davantage les moins diplômés, les plus jeunes et les plus âgés, ceux qui exercent un métier d'exécution (ouvriers, employés), qui ont un contrat de travail précaire ou sont employés dans des PME", précise l'enquête.
"Faites de cette expérience de vie un atout professionnel"
Pour aider les anciens malades à se remettre en selle, l'association Cancer@work organise des job datings à Paris et dans quelques grandes villes de province, au cours desquels ils peuvent rencontrer des responsables des ressources humaines. A la clé, pas de postes offerts sur un plateau, mais des conseils avisés pour prendre un nouveau départ et y voir plus clair sur ses envies.
C'est ainsi que dans le 17e arrondissement de la capitale, une douzaine de personnes de tout âge se retrouvent, ce 26 juin. La journée commence classiquement par un tour de table. Chacun évoque son cancer sans tabou. Marie* a appris son mal alors que, tout juste diplômée, elle s'apprêtait à effectuer son premier jour de travail en tant qu'ingénieur. Juliette, salariée dans l'immobilier, s'est vu révéler le caractère malin de sa tumeur, enceinte de huit mois. Ansar, elle, a connu le choc de l'annonce alors qu'elle n'avait déjà pas été épargnée ces dernières années : elle avait perdu ses trois bureaux de voyages en Tunisie, dommage collatéral de la révolution de Jasmin. Puis souffert d'une hernie discale la rendant inapte pendant un an. Et enchaîné avec un divorce, une dépression et le cancer en point d'orgue.
"Nous sommes là pour vous aider à transformer cette expérience de vie en atout professionnel, lance Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de Cancer@work. Courage, force, ténacité, sens des priorités..., les "soft skills" que vous avez développées pendant la maladie, peuvent être valorisées auprès d'une entreprise." L'association a d'ailleurs lancé une campagne visant à afficher la compétence "fighting cancer", sur son profil LinkedIn.
De l'auditoire, un seul homme émerge. Il y a, statistiquement, un peu plus de femmes actives que d'hommes actifs touchés par le cancer. Et puis, confrontées à la maladie, elles auraient tendance à "moins se renfermer", nous dit-on. 95% des appels à AlloAlex, la plateforme téléphonique d'écoute, créée par l'association pour répondre aux interrogations des salariés malades, de leurs collègues, managers ou dirigeants, émanent d'ailleurs de femmes.
"Ils ont agi comme si j'étais déjà morte"
Certains participants témoignent d'un retour difficile à leur poste, à la fin de leur arrêt maladie. "On m'avait pris mon bel écran pour le remplacer par un tout pourri, idem pour ma chaise, mon agrafeuse avait disparue... Ils ont agi comme si j'étais déjà morte", relate Juliette.
Mylène, deux décennies d'ancienneté au compteur, explique pour sa part que le poste qu'elle occupait n'existait plus à son retour. "On a réorganisé mon service pour pallier mon absence, raconte-t-elle. Mon patron m'a proposé une rupture conventionnelle." Protestations véhémentes autour d'elle. Une entreprise n'a pas le droit de se séparer d'un salarié malade, sauf si elle peut prouver que l'absence perturbe très fortement le fonctionnement de l'entreprise et qu'un remplacement définitif est la seule solution. Et même dans ce cas, elle doit procéder à un licenciement en bonne et due forme. Mais Mylène n'a pas envie de se battre. "J'évolue dans un petit milieu, confie-t-elle, et je ne veut pas que mon employeur se refuse à m'écrire des lettres de référence."
Une ancienne malade, passé par un précédent jobdating cancer@work, et qui a depuis retrouvé le chemin de l'emploi, vient délivrer ses bons conseils.
crédit : Yves Samuel
La matinée avance, le groupe se scinde en deux, pour une séance de coaching en groupe, où chacun doit parler de ses difficultés, de ses qualités, de ce dont il rêverait pour l'avenir. "Voyez grand, ne vous limitez pas, c'est seulement dans un second temps qu'on fera le 'reality check'", encourage Magali Mertens de Wilmars, coach fondatrice de Cancer & Travail, une association bruxelloise. Romain veut trouver un moyen d'"aider les autres". L'émotion le submerge. Bien loin de lui l'idée de revenir à son métier d'expert-comptable. Ils sont nombreux, présents à ce stage, à vouloir se reconvertir. Changer de métier, ou de secteur, pour "trouver du sens" à leur travail. "Le cancer, c'est une épreuve, et en même temps un cadeau", entendra-t-on plusieurs fois au cours de la journée.
"Petit cachet mais gros effet"
Vient une petite séance de gymnastique, encadrée par un coach sportif. L'occasion de quelques mouvements simples, qui rappellent l'existence des muscles, détendent les corps et les esprits, si l'on en croit les éclats de rire. Au déjeuner, les langues décrivent les effets secondaires des traitements. Ceux de la chimiothérapie, de la radiothérapie. Mais aussi, pour les femmes victimes d'un cancer du sein, ceux de l'hormonothérapie. "Petit cachet mais gros effet !", plaisante Emilie.
La fatigue ressentie participe de l'angoisse à la reprise du travail. "Je n'avais jamais rien connu de tel, quand cela m'arrive je suis terrassée, je ne supporte même pas le chant des oiseaux", résume Sandrine. Il y a aussi les difficultés cognitives, les problèmes de concentration... Comme le rappelle souvent Anne-Sophie Tuszynski, "on ne passe pas d'un coup de malade à guéri". Les malades eux-mêmes hésitent parfois à demander des aménagements de poste, à leur retour. Les collègues et la hiérarchie du salarié ont du coup encore plus de mal à se rendre compte des difficultés.
L'ENQUÊTE >> Isolement, fatigue... Difficile de reprendre le travail après un cancer du sein
Emilie, quarante ans, terminait un CDD quand le diagnostic est tombé. C'est ce qu'elle explique à une responsable du recrutement chez Roche, alors que la phase de conseil en face-à-face a débuté. C'est en vain qu'elle cherche du travail depuis septembre, comme agent d'accueil ou secrétaire. Elle a pourtant suivi un coaching en recherche d'emploi, à la Ligue contre le cancer de Versailles. "Ma demande de temps partiel bloque", explique-t-elle. "Peut-être devriez-vous davantage miser sur l'intérim ?", lui suggère son interlocutrice. Elle lui prodigue aussi quelques recommandations pour son CV. "Puisqu'on vous reconnu le statut de de travailleur handicapé, soyez précise, écrivez qu'aucun aménagement de poste n'est nécessaire, mais que vous requérez un temps partiel."
"Je ne veux pas que mon cancer soit une chance en moins"
A quelques mètres, Ansar évoque, non sans humour, avec une autre DRH, la seule formation que Pôle emploi lui a proposé ces derniers mois : commerciale dans les pompes funèbres. "C'est vrai que cela correspond à mon profil, mais je préfère m'éloigner de la mort."
La quinquagénaire est aussi venue à ce job dating avec une question en tête, fréquente, chez les anciens malades : faut-il, oui ou non, parler de son cancer à un recruteur potentiel ? "Moi je suis à l'aise, mais je ne veux pas que ce soit une chance en moins car il ne faut pas se leurrer, les entreprises recherchent la performance et si elles entendent cancer, elles pensent à une rechute potentielle", estime-elle. Son interlocutrice lui donne une solution clé en main. "Vous n'êtes pas obligée d'entrer dans les détails. Un recruteur a besoin d'être rassuré. Dites-lui simplement que vous avez eu successivement des phases de maladie qui vous ont empêché de travailler. Et que vous êtes maintenant prête à rebondir. Ainsi, vous dites tout et vous ne dites rien."
Source: L'Express